Aller au contenu

Montanisme

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Le montanisme est un mouvement chrétien hétérodoxe du IIe siècle fondé par le prophète Montanus en Phrygie, région de la Turquie actuelle. Il jette ses derniers feux, marginaux, dans la première partie du VIe. Ce mouvement spontané, tout d'abord indistinct de l’Église d’Ignace d'Antioche, fut ensuite considéré comme hérétique par celle-ci. Ce mouvement, qui se réclamait spécialement de l'Évangile selon Jean, est contemporain du marcionisme.

Ce mouvement prophétique appelait à se fier à la spontanéité du Saint-Esprit et à observer une éthique personnelle conservatrice. Des parallèles ont été établis entre le montanisme et les mouvements modernes tels que le pentecôtisme (y compris les pentecôtistes unitariens) et le mouvement charismatique.

Appelations[modifier | modifier le code]

L'appelation moderne de Montanistes n'est pas celle des débuts. On ignore comment les adeptes se qualifiaient eux-même, et on ne cannait que les appelations employées par leurs adversaires. Clément d'Alexandrie (début du IIe siècle) les désigne par leur origine géographique, les Phrygiens, désignation péjorative d'un peuple considéré comme inculte selon Pierre de Labriolle[1], et l'hérésie est dite kata Phrygas, qui donnera Cataphryges. Avec Épiphane de Salamine et Basile d'Ancyre (début du IVe siècle) apparaissent les termes de Pépuzite ou Pépuzien, du nom de Pepuze, village où Montan place sa nouvelle Jérusalem[2]. Cyrille, évêque de Jérusalem de 350 à 386, semble avoir créé le terme de « montanistes »[3]. Enfin, Théodoret de Cyr (Ve siècle) les appelle montanistes du nom de Montan, cataphrygiens d'après leur origine ou pépuziens[2].

En réplique à ces appelations, Tertullien, défenseur du montanisme et polémiste vigoureux, désigne ses adversaires par le terme méprisant de « psychiques »[4], catégorie intermédiaire humaine, en-dessous des croyants purs, c'est-à-dire montanistes[5].

Histoire[modifier | modifier le code]

La Phrygie, berceau du montanisme.

La source principale de connaissances du montanisme est l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée (mort en 339), qui lui réserve une place importante et critique dans son livre V, dans ses chapitres 14 et 16 à 19[6]. Eusèbe cite les adversaires du montanisme, d'abord les trois livres d'un auteur inconnu, désigné par les historiens faute de mieux comme l'Anonyme antimontanisme. Eusèbe cite aussi un certain Apollonius, auteur inconnu de la fin du IIe siècle ou du début IIIe siècle et une lettre de Sérapion, éveque d'Antioche de 191 à 211[7].

Montanus serait né à Ardabau, un village de Mysie à la frontière de la Phrygie[8], situé d'après Christine Trevett dans la zone d'influence de Philadelphie, correspondant à l'actuel district de Bekilli en Turquie[3]. Son activité commence selon les sources divergentes vers 156-157 ou 172-173. Il pourrait être un nouveau converti, et probablement pour le disqualifier, Didyme l'Aveugle le dit ancien prêtre des idoles ou prêtre d'Apollon, d'autres en font un ancien galle, officiant châtré de Cybèle[9]. Il s'attache à deux « prophétesses », Priscilla (ou Prisca ou Quintilla) et Maximilla, que Jérôme de Stridon qualifie de nobles et riches. Tous les trois énoncent des prophéties, ce qui n'et pas nouveau dans le christianisme asiatique, mais elles sont énoncées lors de manifestations de possession furieuses et désordonnées que l'Anonyme d'Eusèbe dénonce comme contraires à la tradition. Ces prophéties constituent pour les adeptes la « Nouvelle Prophétie ». Ceux-ci s'organisent et, grâce à des émissaires financés par une caisse commune alimentée par les dons, le nouveau mouvement se diffuse dans les communautés chrétiennes d'Asie mineure[10] malgré quelques revers et des succès marquants comme la conversion de toute la communauté chrétienne de Thyatire[11].

Les rites cataphrygiens[modifier | modifier le code]

On ne sait rien des rites montanistes et on ne peut pas considérer qu'ils dérogeaient au strict christianisme asiate. Tout au moins c'est ce que Tertullien, contemporain de Montanus admettait (De Jejunio...). C'est aussi le point de vue de Pierre de Labriolle[12] et de Nicolas Robert[13]. Des adeptes montanistes dits « Tacodrugites » sont cependant décrits comme ayant l'habitude de prier le doigt dans le nez[14].

Système de croyances[modifier | modifier le code]

Dix-neuf oracles, éléments de la « Nouvelle prophétie » et attribués à Montanus, à ses prophétesses ou anonymes, nous sont parvenus sous la forme d'énoncés généralement laconiques et sibyllins, recueillis par les adversaires du montanisme ou par Tertullien[15]. Les six premiers oracles sont attribués à Montanus, mais seuls les n° 3 à 6 sont considérés comme authentiques[16]. Quatre oracles (n° 13 à 16) sont attribués à la prophétesse Maximilla[17]. Dans l'oracle n° 17, la seconde prophétesse, Quintilla ou Priscilla, rêva du Christ sous la forme d'une femme vêtue d'une robe éclatante. Il lui a déclaré que le lieu où elle se trouve (le village de Prépuze) est celui où « descendra la Jérusalem céleste »[18],[19]. Cinq oracles (n° 7 à 11) sont transmis par Tertullien, les n°10 et 11 étant attribués à une certaine Prisca, probablement la Priscilla déjà nommée. Les n° 7 à 9 tranchent avec les autres oracles : ils ne sont pas imputés à un être humain, mais directement au Paraclet. Blanchetière ne les consière plus comme appartenant à la doctrine originelle asiatique[20]. Enfin les derniers oracles recensés (n°18 et 19) sont douteux[15].

Le montanisme apparait au moment où l'Église s'organise en système. Ces chrétiens rejetaient le clergé et toute hiérarchie, pour mieux exalter le martyre. Le mouvement fondait aussi son système de croyance sur la promesse de Jésus à ses disciples de leur envoyer, après sa mort, le Paraclet, l'Esprit de vérité, qui devait les conduire en toute vérité et demeurer éternellement avec eux pour leur enseigner les choses qu'ils n'avaient pu comprendre auparavant dans leurs vies.

Montanus se présenta donc comme l'organe du Paraclet. Il ne prétendait pas être le Paraclet lui-même, mais un médium humain en extase prophétique. Les paroles qu'il proférait étaient non les siennes, mais celles du Paraclet. Seul Épiphane de Salamine (au IVe siècle), accuse Montanus de s'être déclaré « le Père tout-puissant »[21], tout en reconnaissant l'orthodoxie du montanisme sur la Trinité « sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ils pensent comme la sainte Église »[22],[23].

Réactions et schisme[modifier | modifier le code]

Avec la diffusion de ce mouvement prophétique dans les provinces limotrophes de la Phrygie, les évêques des communautés chrétiennes asiatiques réagirent. Des discussions et des confrontations ont lieu, houleuse comme à Prépuze entre Zotique d'Otrous et Julien d'Apamée face à Maximilla soutenue par ses partisans[24]. Des traités sur les prophéties sont rédigés dans le dernier quart du IIe siècle et la première décennie du IIe siècle, pour réfuter le montanisme. On ne connait que leurs titres par Eusèbe de Césarée. De leur côté, les montanistes font circuler leurs propres écrits, réfutations des arguements orthodoxes et recueils des prophéties de leurs fondateurs[25].

Selon l'Anonyme d'Eusèbe, les fidèles orthodoxes d'Asie se réunissent, condamnent le montanisme et excommunient ses adeptes[26]. L'exclusion se manifeste par la force, car l'Anonyme rapporte que les montanistes traitèrent les Catholiques d'« assassins des prophètes »[27], tandis que Maximilla répliqua selon l'oracle n° 12 « Je suis pourchassée comme un loup loin des moutons. Je ne suis pas un loup, je suis Parole, Esprit et Force »[28].

Les montanistes protestèrent et s'efforcèrent, en 177, de se concilier la faveur des chrétiens d'Occident, particulièrement de ceux qui étaient emprisonnés pour leur foi. Eusèbe dit que ceux-ci s'adressèrent alors pour la paix de l'Église, à Éleuthère, évêque de Rome. De leur côté, les Orientaux persistèrent dans leur jugement, et s'appliquèrent à le justifier dans de nombreux écrits. Montanus était probablement mort avant ces événements.

Montanus ne semble pas avoir présidé longtemps à l'œuvre qu'il avait commencée et semble être décédé à cette époque de tentative de reprise en main. Des rumeurs — des ragots de l'aveu même de l'Anonyme d'Eusèbe[29] — disent qu'il se serait pendu comme Judas, de même que Maximilla[24]. Ayant d'abord survécu à sa sœur Priscilla, elle croyait être la dernière prophétesse, la fin du monde devant survenir après elle.

Vers 220 d'après une lettre de Firmilien de Césarée (en) à Cyprien de Carthage, un synode réunissant à Iconium les responsables des communautés de Galatie, de Cilicie et d'autres régions asiates débat sur la validité du le baptême donné par les montanistes et finissent par le tenir pour nul. Les montanistes restèrent donc officiellement réprouvés[30].

Devenue une secte isolée, le montanisme connut son apogée dans la Carthage du IIIe siècle, où il fut soutenu par le théologien latin Tertullien. Cependant, au VIe siècle, le montanisme aurait, dans les faits, totalement disparu, sauf quelques communautés à Pépouza, sommées par Justinien d'embrasser l'orthodoxie.

Cependant, une secte est toujours appelée « Montaniste » au VIIIe siècle ; l'empereur Léon III ordonna la conversion et le baptême de ses membres. Ces montanistes refusèrent, s'enfermèrent dans leurs lieux de culte, incendièrent les bâtiments et périrent[31].

Références[modifier | modifier le code]

  1. de Labriolle 1913, p. 4.
  2. a et b Blanchetière 1978, p. 118-119.
  3. a et b Auwers 2002, p. 256.
  4. Blanchetière 1978, p. 125 et 127.
  5. de Labriolle 1913, p. 143.
  6. Blanchetière 1978, p. 121.
  7. Blanchetière 1978, p. 122-124.
  8. Histoire ecclésiastique, 5, 16, 7.
  9. Blanchetière 1978, p. 127-128.
  10. Histoire ecclésiastique, 5, 18, 8.
  11. Blanchetière 1978, p. 129-130.
  12. La Crise montaniste, 1913
  13. Tertullien montaniste, 2000, mémoire de DEA Grenoble III
  14. Précis curieux des hérésies, Pont-à-Mousson, Paris, (lire en ligne), p.213
  15. a et b de Labriolle 1913, p. 105, tableau récapitulatif des oracles et des documents sources.
  16. Blanchetière 1979, p. 1-2.
  17. Blanchetière 1979, p. 4-5.
  18. de Labriolle 1913, p. 86-87.
  19. Blanchetière 1979, p. 6, indiqué n° 12 par Blanchetière.
  20. Blanchetière 1979, p. 7-8.
  21. Épiphane de Salamine, Panarion, 48.11.
  22. Épiphane de Salamine, Panarion, 48.1.
  23. Blanchetière 1979, p. 2-3.
  24. a et b Blanchetière 1978, p. 131.
  25. Blanchetière 1978, p. 132-133.
  26. Histoire ecclésiastique, V, 16, 10.
  27. Blanchetière 1978, p. 133.
  28. de Labriolle 1913, p. 69.
  29. Histoire ecclésiastique, V, 16, 13-15.
  30. Blanchetière 1978, p. 134.
  31. (en) Vryonis, Decline of Medieval Hellenism, p. 57 et notes.

Sources[modifier | modifier le code]

Sources anciennes[modifier | modifier le code]

  • (grc + fr) Eusèbe de Césarée (trad. Émile Grapin), Histoire ecclésiastique, livre V, (lire en ligne)
  • Tertullien, père de l'Église (autour de 202-224) : « De Corona, - De Fuga in persecutione, - De Exhortatione castitatis, - De Virginibus velandis, - Adversus Hermogenem, - Adversus Valentinianos, - De Carne Christi, - De Resurrectione carnis, - De Pallio, - Adversus Marcionem, - De Anima, - Scorpiace, - Ad Scapulam, - De Monogamia, - De Jejunio, - De Pudicitia, - Adversus Praxeam ».
  • Didyme l'Aveugle (v.311-v.397): (De Trinitate, III, 41)

Sources modernes[modifier | modifier le code]

Paul Monceaux, « notes de lecture des ouvrages de Labriolle », Journal des savants. 13ᵉ année,,‎ , p. 508-514 (lire en ligne).
  • (en) Christine Trevett, Montanism. Gender, Authority and the New Prophecy, Cambridge, University Press, , 299 p. (ISBN 0-521-41182-3).
Jean-Marie Auwers, « notes de lecture de l'ouvrage de Christine Trevett », Revue théologique de Louvain, nos 2, 33ᵉ année,‎ , p. 256-258 (lire en ligne).
  • (en) Alistair Stewart-Sykes, « The Original Condemnation of Asian Montanism », Journal of Ecclesiastical History, vol. 50,‎ , p. 1-22 (lire en ligne [PDF]).
  • Tabbernee W. Montanist Inscriptions and Testimonia, Tulsa, 1998
  • Robert, N. Tertullien montaniste, Grenoble 2000

Liens externes[modifier | modifier le code]